Plus d’inclusion numérique à Bruxelles
La société devient de plus en plus numérisée, ce qui facilite la vie de nombreux citoyens. Cependant, les Bruxellois ne sont pas tous égaux face à cette transition et la fracture numérique ne fait que se creuser davantage. Des asbl comme Wijkpartenariaat – De Schakel font leur possible pour aider les exclus du numérique.
Alors que 40% des Bruxellois sont en situation de vulnérabilité numérique, l’ordonnance « Bruxelles numérique » a été votée le 9 mars par le gouvernement bruxellois.
Une ordonnance qui se veut numérique ET inclusive
Concrètement, l’ordonnance « Bruxelles numérique » vise à numériser les services administratifs, imposer des « guichets numériques » et à privilégier le digital au détriment du papier. Dans un article paru sur le site officel de la Région de Bruxelles-Capitale en novembre dernier, le ministre Bernard Clerfayt défend l’idée que le numérique est devenu un indispensable dans la vie des Bruxellois. Il permet de simplifier certaines démarches administratives, de gagner du temps et de réduire les potentielles erreurs. Ayant conscience de la fracture numérique existante, le ministre de la Région de Bruxelles-Capitale affirme que le but de son ordonnance n’est pas de supprimer les guichets physiques mais de faciliter la vie.
Dans une société dite « ultra-connectée », cela paraîtrait comme la solution parfaite pour gagner du temps et de l’argent. Cependant, il s’agit d’une « mesure discriminatoire », c’est ainsi qu’en novembre, l’asbl Lire et Écrire la décrit dans sa carte blanche signée par plus de 200 associations. En ne rendant pas obligatoire le maintien de guichets physiques, l’ordonnance exclut quasiment la moitié de la population. En effet, selon le baromètre d’inclusion numérique 2022, 40% des Bruxellois souffrent de la fracture numérique. Preuve que numérique est aussi source d’inégalités sociales, la plupart des personnes concernées ne font pas partie de la population aisée.
Créer du lien dans le quartier Brabant
Parmi les signataires de la carte de blanche lancée par Lire et Écrire, on retrouve l’asbl Wijkpartenariaat – De Schakel. De Schakel – signifiant « le maillon » en français – vise à lutter contre la pauvreté à Bruxelles et plus particulièrement à Schaerbeek dans le quartier Brabant, et cela passe également par la lutte contre la fracture numérique. Rencontre avec Chaimae Moussadek, travailleuse sociale de l’asbl, qui explique son travail d’accompagnement des personnes en précarité numérique.
De Schakel, c’est un peu comme une maison ouverte.
Chaïmae Moussadek
De Schakel propose des cours d’informatique basique. Pas à pas, on apprend à utiliser une souris ou un clavier, à allumer un ordinateur, à se connecter à internet ou encore à envoyer un mail. Les cours se font en fonction des besoins et des demandes. Le but n’est pas de donner des cours intensifs mais de répondre aux besoins spécifiques de chacun.
« De plus, l’asbl ouvre quatre fois par semaine ce que l’on appelle un EPN – espace public numérique – où est mis à disposition du matériel informatique : ordinateur, imprimante, lecteur de carte, … Il y a également des animateurs qui peuvent répondre aux questions éventuelles. L’EPN est avant tout un espace de contact social où les gens s’entre-aident, posent des questions et apprennent ensemble.«
Le public concerné sont des personnes souvent isolées et/ou précarisées. Mais les difficultés liées au numérique concernent plus de personnes que l’on pourrait croire. Elles ne concernent pas que les personnes âgées ou en situation de pauvreté. Chaimae affirme qu’il y a souvent des jeunes adultes qui viennent aux EPN pour demander de l’aide pour mettre en forme leur mémoire sur Word ou bien pour accéder à l’agenda connecté de leur entreprise.
Numérisation synonyme d’injustice
Malgré leurs initiatives, les associations se rendent bien compte qu’il est impossible de rendre tout le monde autonome numériquement. Il y aura toujours des gens qui ne pourront pas s’adapter. Numériser les services administratifs et enlever l’accès aux guichets physiques empêche certaines personnes à accéder à leurs droits. En effet, le guichet physique rassure car, là, les gens peuvent poser leurs questions concernant des démarches administratives qui sont souvent complexes et obtenir l’aide nécessaire.
Chaimae Moussadek nous donne l’exemple d’une personne en situation de transit qui demande une régularisation sur le territoire belge. « S’ils n’ont pas accès à des guichets physiques, à la commune, pour introduire leur demande et qu’ils n’ont pas les acquis pour faire une demande par mail, la démarche traîne et ils se retrouvent dans l’illégalité. De plus, ils n’ont accès à rien, pas de logement, pas d’accès à des droits sociaux. Empêcher les citoyens d’avoir accès à des guichets physiques donc à un interlocuteur de qualité qui puisse traiter leurs demandes, pour moi, c’est contre-citoyen. »
Ce genre de situation a un impact psychologique grave sur les citoyens et peut provoquer énormément de frustration. On retrouve des personnes dans une situation d’assistanat alors que jusqu’à maintenant, elles ont toujours été autonomes.
C’est se mettre à dos une partie de la société.
Chaimae Moussadek
Responsabilité des instances publiques
Dans l’obtention d’aides financières pour se fournir du matériel informatique, De Schakel se voit plutôt comme un intermédiaire. L’association écoute les besoins des citoyens et puis les redirige vers d’autres associations qui pourraient les aider. Cependant, Chaimae souligne que ce genre d’aide constitue des cas individuels et isolés. Les aides mises en place, dans le but d’aider les précarisés du numérique, sont peu connues du grand public et assez difficiles à obtenir. Selon elle, « c’est le rôle des instances publiques de prendre ça en charge ».
Sur le site officiel de Bruxelles-Capitale, la région met en avant son plan d’approbation numérique visant à faire face à ces inégalités/injustices liées au numérique. Le plan veut mettre en place des mesures concrètes telles que l’accès à des EPN dans les différentes communes. Malgré ces mesures, les efforts des instances publiques se font discrets et cela se remarque par le manque de financement de la cause. En effet, il n’existe pas de grandes initiatives financières politiques dans l’inclusion numérique. Les budgets sont assez pauvres et ne permettent pas aux asbl de mettre en place toutes les initiatives qu’elles voudraient : formations, matériel, personnel, …
Chaimae n’est pas contre le numérique mais contre le fait de l’imposer pour tous. Et elle revendique que si la volonté de l’état est de réellement tout numériser, il faut assumer. S’assurer que personne ne soit exclu du système. Donc, en plus d’octroyer davantage d’aides financières, leur responsabilité serait d’organiser des formations structurelles. Cela permettrait aux personnes « à la traîne » de rattraper leur retard et de ne pas se retrouver livrées à elles-mêmes.
Il faut veiller à ce que les lois soient en accord avec les besoins de la population.
Chaimae Moussadek.
Téa Bruyninckx
Étudiante de 21 ans en 1ère année de communication à l’ISFSC, s’intéresse à de nombreuses problématiques sociales et culturelles. En rédigeant ses premiers articles, elle vise à ouvrir les esprits et à conscientiser. Sur un ton transparent et non moralisateur, elle veut donner la parole à ceux qui se taisent/que l’on tait.