Là où le bitume rencontre la drogue
Depuis le début de cette année, avec notamment l’évacuation du squat situé au 48 rue des Palais, la commune de Schaerbeek a été l’objet d’une importante polémique liée au sans-abrisme et à la consommation de drogues. Véritablement, on observe aujourd’hui un accroissement de réfugiés et de personnes vivant à la rue. Et parallèlement, une hausse de la consommation de drogue banalisée dans nos rues. Peut-on dès lors en conclure que le sans-abrisme mène inéluctablement à la consommation de drogue ?
En sortant du métro Botanique pour rejoindre la sortie où se trouvent les trams 92 et 93, en vous rendant dehors pour rejoindre le parc Botanique, vous devrez d’abord être témoin d’une scène urbaine plutôt déplaisante. Avant même de mettre le pied dehors, vous observerez à l’étage de la station, des habitats de fortune faits de matelas encrassés, de lourdes couvertures trop usées qui recouvrent une, parfois deux personnes souvent mal vêtues. En outre, vous verrez des personnes se trouvant dans un état de toxicomanie, consommer toutes sortes de substances douteuses à toute heure de la journée et aux yeux de tous.
Voici, le décor négligé auquel font face les usagers quotidiens et les habitants du quartier nord de la commune de Schaerbeek commune et une concentration de la précarité dans les quartiers Ouest.
Lors de notre interview sur ces problématiques, Rebecca Maes, responsable de la cellule Latitude Nord, qui fait partie du service Accompagnement des personnes du Programme de Prévention Urbaine de la commune de Schaerbeek, nous dit ceci : « Il m’est difficile de dire qu’il y a un lien direct entre une situation de sans-abrisme et une consommation de drogue. Je parlerai plus d’une superposition de problématique. »
Cette dernière nous explique que certaines personnes peuvent avoir recours à la consommation de drogues pour survivre dans un contexte de vie rude.
On peut constater une certaine concentration d’une consommation dans le quartier Brabant-Nord par rapport au reste de la commune.
Aussi, la responsable de la cellule Latitude Nord attire l’attention sur le fait que le public sans-abris est également composé d’une population dans un parcours d’immigration qui par conséquent transportent, dans certains cas, un bagage de traumatismes de guerre de leur pays d’origine. Des chocs émotionnels pouvant amener une personne à consommer.
La partie émergée de l’iceberg
L’incendie mortel de ce 14 février dernier, précédant l’évacuation du bâtiment qui servait de squat situé rue des Palais à Schaerbeek, n’est qu’une infime partie qui émerge de l’iceberg. En effet, cet incident fatal témoigne d’un problème plus profond en lien avec le sans-abrisme et la consommation de drogue dans la rue.
Rebecca Maes nous dit ceci : « Il s’agissait pour la très grande majorité de personnes en procédure de demande d’asile, dont certains ont peut-être été amenés à consommer pour tenir/survivre dans des conditions extrêmes. Basé sur mes observations et celles de mes collègues, ce lieu n’était pas un « repaire » pour les personnes consommatrices, mais un lieu de refuge pour des personnes dans une détresse et vulnérabilité intense. »
Plusieurs acteurs sociaux et universités comme l’UCL Louvain ont effectué un recensement des SDF et personnes en situation de précarité en Belgique à l’initiative de la fondation Roi Baudouin. En 2020, on comptait à Bruxelles 4 380 adultes et 933 enfants en situation de précarité. A Latitude Nord, 20% du public est âgé de moins de 30 ans. Pour l’année 2023, cela s’explique par la crise de l’accueil de Fedasil. En effet, de nombreuses personnes ayant introduit une demande auprès de Fedasil n’ont pas reçu de place dans un centre d’accueil. Selon le rapport du 1 juillet 2023, Fedasil comptait 34 180 places d’accueil pour 32 134 personnes accueillies, soit 94% d’occupation.
A noter qu’un nouveau centre d’accueil Fedasil spécifique à l’accueil des MENA a ouvert ses portes le 2 mai 2023 à Schaerbeek.
A la source du problème
La problématique du sans-abrisme émane en général des différentes failles dont regorge notre société ; logements abordables en déficit, inflation et difficultés financières et/ou sociales. A cela s’ajoutent les nombreux réfugiés également livrés à eux-mêmes. Les difficultés que rencontrent les personnes vivant à la rue sont rudes et quotidiennes.
Rebecca Maes précise que la vie en rue est extrêmement difficile pour le corps et le mental. Cependant, chaque personne a une situation bien spécifique avec un parcours qui lui est propre. A Latitude Nord, on retrouve des personnes ayant un revenu provenant de diverses origines telles qu’un emploi, le CPAS, DG personnes handicapées, la mutuelle… Mais ces revenus peuvent également provenir d’un travail non déclaré pour pouvoir survivre en rue.
De lourdes conséquences
De nombreux centres de logements d’urgences et services d’aide et de prévention aux usages de la drogue ont été mis en place à Schaerbeek grâce à l’initiative de la Commune, du CPAS et l’ASIS (Agence Schaerbeekoise Immobilière Sociale).
Mais le problème persiste.
Madame Maes nous dit ceci : « De mon expérience, les problématiques de sans-abrisme, consommation de drogue, violence, prostitution, etc. sont des problématiques qui se superposent auprès des personnes mais elles ne sont pas nécessairement des conséquences l’une de l’autre. »
Lorsqu’une personne consomme et qu’elle arrive au point de plus savoir se passer du produit, la recherche du produit va prendre une forme de priorité sur le reste. D’autre part, le processus de cure d’un produit est bien plus complexe que ce que l’on pourrait croire. Un travail en amont et en aval est à réaliser pour faire en sorte qu’une personne ne se retrouve pas à nouveau dans une situation qui l’a amenée à consommer. Il existe une réelle difficulté quant à l’accès à des structures permettant aux personnes d’entamer le processus de consommation (conditions à respecter, délais d’attente parfois très longs…) qui freine considérablement la possibilité qu’une personne arrive à arrêter de consommer et de maintenir un état de sobriété à long terme.
La rue inclusive
Le plus souvent, nous avons en tête l’image type du SDF qui sombre dans la drogue ; homme d’une quarantaine d’années qui a perdu son emploi et par la suite son logement. Mais il s’agit d’une tout autre réalité. La précarité touche tous les sexes, tous les âges et toutes les origines.
Un reportage inquiétant rapporte qu’une personne à la rue sur cinq est âgée de moins de 25 ans rien que dans le Brabant Wallon. Dans ce groupe de jeunes, on retrouve le plus souvent des jeunes immigrés clandestins et des jeunes issus de foyers ou de maisons d’accueil.
Difficile de ne pas se laisser influencer ou intimider à un si jeune âge dans la rue où la loi du plus fort règne.
Des perspectives pour la ville de Schaerbeek ?
Paradoxe qui tend vers un cercle vicieux. Le soirimmo a fait un constat du prix de l’immobilier en Belgique. Rien qu’ à Schaerbeek, le prix des maisons a augmenté de 4,4% entre 2019 et 2020. En 2020, le prix médian s’élevait à 235 000€ pour les appartements et à 417 500€ pour les maisons à Schaerbeek. Parallèlement, en janvier 2023, un nouveau centre d’hébergement pour familles sans abris a ouvert à Schaerbeek.
« La commune de Schaerbeek a mis en place la cellule Latitude Nord. Le CPAS est également un acteur incontournable pour aider et accompagner les personnes. La commune a aussi développé des partenariats avec des ASBL comme Transit.Il y a également des réflexions en cours autour du public consommateur pour éventuellement lancer de nouveau projet.»
Rebecca Maes Responsable Latitude Nord
Je suis Lara Katumwa, née et élevée à Bruxelles. Étudiante en communication passionnée par les médias, je m’efforce d’utiliser leur pouvoir pour lutter contre l’injustice sociale et la précarité. Ma ville natale m’a montré la diversité et les défis auxquels sont confrontées certaines communautés, renforçant mon engagement envers une société plus équitable. Mon objectif est de créer des contenus impactants pour sensibiliser et inspirer le changement.