Les marchands de sommeil ; les dessous obscurs d’un trafic au logement
A Schaerbeek, entre propriétaires véreux et pénurie du logement, c’est une quête éperdue pour avoir un toit au-dessus de la tête.
Les années passent et la croissance démographique bruxelloise ne cesse de s’accroitre et suite à cela s’ajoute la question du logement. D’autant plus que la commune de Schaerbeek compte 16 540 habitants par km² contre 7 528 pour la région de Bruxelles-Capitale. Il n’y a plus assez de logements dans Bruxelles et le prix des loyers ne fait qu’augmenter. Alors avec peu de sources de revenus, il faut parfois se débrouiller avec les moyens du bord, surtout en situation d’urgence. Des propriétaires véreux profitent de la fragilité de certains pour établir leur petit trafic au logement. On les appelle les marchands de sommeil, ces propriétaires qui exploitent la détresse de personnes fragilisées en leur louant des soi-disant logements qui généralement cochent toutes les cases d’un logement insalubre.
Les marchands de sommeil plus actifs dans la commune de Schaerbeek
Bien que la rumeur prétende que les loyers à Schaerbeek sont plus abordables, il s’avère qu’ils ne sont pas plus bas, le marché s’adapte à la demande et bons comme mauvais propriétaires alignent leurs prix. Schaerbeek est une commune interculturelle qui abrite de multiples nationalités, ethnies et minorités. Certains ne parlent pas français et sont parfois en séjour illégal. Ces personnes sont confrontées à des difficultés pour trouver un logement adéquat à leurs besoins. A cela s’ajoutent la barrière de la langue, des discriminations, des revenus insuffisants, un manque d’accès à l’information, l’absence de papiers d’identité et trop de paperasse administrative. C’est pourquoi, dans l’urgence ces personnes fragilisées par la vie sont victimes d’abus de la part de marchands de sommeil. Mais à quel prix ? Il ne faut pas croire que les loyers même pour un logement insalubre ne sont pas exorbitants, au contraire. Lors d’une descente rue du Pélican en 2012, madame Longo Grebobozo assistante sociale en cheffe du CPAS témoigne que le propriétaire louait un matelas dans un ascenseur en panne pour 300 euros le mois. Mais, parfois ces personnes dans le besoin y trouvent un avantage, pas besoin de papiers, aucune question n’est posée, une pièce dépourvue d’humanité, mais un toit, certes insalubre, et le soulagement de ne pas passer une nuit de plus dans la rue, exposées à tous les dangers.
La mise en place de dispositif anti-insalubrité
La commune de Schaerbeek s’attaque à l’insalubrité, grâce à deux outils principaux. Dans sa main droite, la plateforme logement, conduite par l’asbl RénovaS et dans sa main gauche la cellule ILHO qui axe sa priorité sur les marchands de sommeil. ILHO coordonne depuis 2016 le travail des différents services locaux, services population, urbanisme, juridiques et sociaux tels que la cellule logement du CPAS, l’asbl Convivence, Soleil du Nord… Des partenariats existent également avec la DIRL qui n’est autre que la police du logement et le Parquet. En effet, le terme « marchand de sommeil » est reconnu pénalement et toute personne est légitime de faire valoir ses droits devant la loi, même si celle-ci est sans papiers, indique Sylvie Longo Grebobozo.
Lutter contre l’insalubrité
Tant qu’il n’y aura pas une quantité de logements proportionnelle à la demande les « propriétaires cowboys », comme les appelle madame Longo Grebobozo, continueront leur business illégal. Depuis la mise en place de dispositifs contre les marchands de sommeil les demandes d’enquêtes sur l’insalubrité se sont multipliées. En 2020, 1700 demandes d’enquête ont été rapportées par le service population et 300 cas ont donné lieu à une enquête approfondie. Cela n’a pas effrayé un propriétaire de la rue des Coteaux à Schaerbeek d’aménager son immeuble en 33 kots. Néanmoins, grâce aux multiples plaintes déposées par les locataires la DIRL a pu intervenir. Sylvie Longo Grebobozo qui était sur l’affaire témoigne que c’était l’une de ses descentes les plus importantes, « il avait morcelé tout l’immeuble grâce à des cloisons et des portes », ce qui est illégal sans permis d’urbanisme. Elle explique également que la difficulté réside dans le fait que, une fois la police du logement alertée, celle-ci doit obligatoirement prévenir le propriétaire de son inspection. C’est pourquoi les différents services ont dû ruser pour trouver au préalable des logements de transit aux victimes de ce trafiquant.
Aider les personnes victimes de pression
Arrêter un marchand de sommeil n’est pas une tâche facile. Pour pouvoir inspecter un logement, une plainte officielle d’un locataire ou d’un service social doit être déposée afin que la DIRL puisse intervenir. Cela n’est pas si évident, car beaucoup craignent les répercussions potentielles. Outre les préoccupations liées aux documents ou à la peur de ne pas retrouver un logement, certains marchands de sommeil aux allures de vrais mafieux sont redoutables et n’hésitent pas à employer la force et la menace sur tout ce qui pourrait nuire à leurs petites affaires. Un marchand de sommeil qui se situait boulevard de l’Abattoir menaçait physiquement ses locataires pour les dissuader de parler. En novembre 2022, un autre propriétaire de la rue des Coteaux a fait vivre un enfer à ses locataires. Ce marchand de sommeil décide d’expulser ses locataires, une dizaine d’hommes victimes de précarité se sont vus menacés et terrorisés par le propriétaire. En décembre, s’ajoutent des coups de feu qui n’ont pas manqué de blesser un locataire. Les locataires vivent dans la crainte constante, sous des menaces physiques ou psychologiques. C’est pourquoi ILHO manœuvre avec ses partenaires pour trouver des portes d’entrée et aider les victimes. La commune intervient en cas de danger pour la population, permettant la vérification de certains logements aux allures douteuses.
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Etre une femme et vivre dans la rue
C’est une triple peine pour les femmes victimes de marchands de sommeil. De façon systémique les femmes souffrent davantage de précarité notamment dans un monde conçu pour le masculin. Retourner dans la rue est une véritable condamnation remplie de dangers. En plus d’être sans domicile fixe, elles subissent agressions, viols, exploitation. Des dégâts tant physiques que psychologiques aux répercutions bien trop désastreuses. Après quelques nuits dehors, à ne plus oser dormir, à craindre et à trembler, elles finissent par se tourner vers la prostitution dans l’espoir de pouvoir dormir une nuit au chaud. Certes, les marchands de sommeil ne sont pas la meilleure solution mais parfois ils représentent la consolation de ne pas devoir dormir à même le sol exposées aux attaques extérieures.
La règlementation et la sous-information
Toutes les pièces sont bonnes à la location dans une époque où trouver un logement est difficile. A Bruxelles, les caves sont souvent aménagées en petits studios, ce qui est légal si tous les critères du code du logement sont respectés. Les locataires manquent souvent d’informations cela peut se jouer parfois dans les détails: taches sur les murs, manque de lumière naturelle, aération inadéquate, fils défectueux, équipements manquants… Et cela peut être dangereux pour la santé. C’est pourquoi le CPAS forme ses assistants sociaux en collaboration avec des experts afin de détecter les irrégularités. Toutefois, certains bailleurs n’ont pas froid aux yeux comme explique Sylvie Longo Grebobozo: « un propriétaire louait à un aveugle une chambre dépourvue de fenêtre, sous prétexte qu’il était aveugle ». Cela semble irréel et pourtant c’est bien la réalité pour des individus fragiles et sous-informés qui sont victimes d’abus.
Des étudiants victimes
La complexité de trouver un logement adéquat n’épargne pas les étudiants, qui eux aussi font face à des conditions de logements précaires . Notamment dans une société où le recours au kot est devenu courant pour accéder à des études de qualité, cela se fait souvent au détriment des budgets familiaux.
Combattre l’insalubrité et offrir un soulagement d’urgence
En réponse à ces nombreuses contraintes que rencontrent ces personnes, la commune de Schaerbeek a mis en place des mesures pour lutter contre l’insalubrité et les pratiques abusives des marchands de sommeil. Ajouté à cela, Sylvie Longo Grebobozo a pris la décision de supprimer la nécessité de prendre rendez-vous au sein de la cellule logement du CPAS. C’est dans l’urgence qu’il faut agir, et face à cela il n’y a généralement pas le temps d’un rendez-vous. Le CPAS c’est un peu comme l’anti-douleur avant de trouver le médicament adéquat. Même si cela n’est pas définitif il apporte un grand soulagement lorsqu’on se trouve dans une situation de précarité où rien ne semble évident.
Louanne Duray étudiante de 1ere année en communication à la Haute Ecole ISFSC. Curieuse depuis toujours et fascinée par « la nature des choses » j’ai donc choisi la communication pour m’informer, comprendre et partager mes connaissances. C’est pourquoi je trouve un intérêt particulier au journalisme qui semble correspondre à mes envies d’investigations.