MON INTIMITÉ AVEC LA REINE

26 avril 2023

Sale journée aujourd’hui. Non seulement mes élèves ont été pénibles au possible, mais en plus ma femme m’a rabâché toute la journée que je n’avais pas pris mes médicaments hier soir ! Quelle rabat-joie ! « Henri, tu dois prendre tes pilules, tu sais que ça ne va pas quand tu ne les prends pas. » Gneu gneu ! Va te faire cuire un œuf chez les Gaulois !

B R E F ! Je devais te parler de mon directeur aujourd’hui, non ? Un sale petit con prétentieux, mais tu le sais déjà. J’ai dû lui faire de la lèche pour qu’il accepte que je mette en place mon projet. Il ne comprend rien à rien. Personne ne comprend de toute façon. Je suis arrivé, la bouche en cœur, plein d’entrain, comme jamais quoi ! Et je frappe à sa porte : « ENTREZ » qu’il hurle. Je hais qu’on me hurle dessus. Mais bon, j’entre sans laisser ma bonne humeur s’entamer et je le salue. Ai-je eu droit à une réponse ? Oui, un grognement suivi d’un « c’est pour ? ». Dans d’autres circonstances, je lui aurais dit qu’en tant que directeur, le minimum syndical serait de former une phrase complète, mais je devais le mettre dans de bonnes conditions pour qu’il accepte mon projet. Je l’ai donc abordé de front, un coup pour le titiller en plein dans son intérêt : « Je veux faire venir la presse à l’école. »

Il a marqué un temps d’arrêt et s’est enfoncé dans sa chaise en cuir. Un budget monstre passe dans son foutu bureau : chaise en cuir, canapé en cuir, bibliothèques en hêtre et j’en passe. Mais c’est pas le sujet. J’avais son attention et je comptais bien la garder : « Je veux réaliser un projet avec mes élèves. Il s’agirait de redorer le blason de la place de la Reine et on appellerait ça « le projet Living Reine », comme si la Reine reprenait vie à travers cette place ! Imaginez seulement : des centaines de visiteurs quotidiennement, une foule constante jour et nuit, tout ça pour admirer cette magnifique place et pour s’imprégner de l’histoire qu’elle a à véhiculer ! La presse n’aura de cesse d’en parler, de la place, des élèves, mais surtout de la personne, que dis-je, LE HéROS grâce auquel tout cela aura pu se passer : VOUS ! ». Je ne sais pas trop quand je m’étais levé, mais j’étais debout, face à lui, et il s’est mis à sourire en entendant parler de lui de la sorte. Je me suis donc rassis et j’ai continué à lui expliquer : « Je dois évidemment en parler avec d’autres professeurs, celui d’art peut-être, parce que le projet est encore un embryon, mais tout cela sera grandiose et je voulais m’assurer que j’ai votre feu vert. ».

Et bien évidemment que je l’ai eu ! Il s’en fout de savoir à quoi va ressembler ce projet. Il s’en fout de savoir qui va faire quoi et comment. Tout ce qui l’intéresse, c’est de savoir quand la presse va venir l’interroger. Il se prend déjà pour une légende alors que la seule histoire qui compte, c’est celle que je ferai revivre ! Heureusement pour lui, je suis de bonne humeur suite à son aval pour le projet parce que je pense que j’aurais pu faire un sacré esclandre dans son bureau et ça n’aurait pas été beau à voir …

H.

Je reviens vers toi quelques heures seulement après la page précédente, je voulais simplement parler un peu avec quelqu’un. Ma femme n’est pas très contente, j’ai un peu perdu mon sang-froid et j’ai dit des choses que je ne devais pas. Pas que je m’en souvienne, mais ça m’arrive, des fois. Je ne sais pas trop quand ça se passe, mais je ne me sens plus moi-même et puis… Enfin voilà, les médecins disent que c’est à cause de ce qui se passait avec Maman. Elle n’était pas méchante, juste un peu spéciale. Elle m’aimait, mais elle avait du mal à me le montrer. Je ne lui en veux pas pour ce qui s’est passé, mais je crois que l’autre partie de moi-même n’a pas su le gérer convenablement. C’est peut-être pour ça qu’il y a des parts d’obscurité dans mon quotidien. Les médicaments ne faisaient pas effet dans tous les cas, j’avais quand même ces amnésies en les prenant, alors j’ai remplacé les cachets par des bonbons et j’en prends quand ma femme regarde. Elle est comme Maman, toujours à regarder par-dessus mon épaule et me réprimander. Mais ce ne sont pas les mêmes réprimandes. Je préfère celles de ma femme.

Je n’ai jamais dit tout ça à qui que ce soit, mais je pense qu’il faut que tu me connaisses parfaitement pour comprendre ce que je te dis. On est bien partis pour vivre beaucoup d’aventures ensemble et ça m’embêterait de te cacher des choses !

Enfin bon, ça m’a fait du bien d’écrire tout ça, je te remercie. Passe une bonne nuit, et à la prochaine fois.

Henry