MON INTIMITÉ AVEC LA REINE

2 mai 2023

Bonjour, comment vas-tu ? Je t’ai manqué un peu ? Je suis désolé de ne pas avoir écrit en rentrant, j’étais un peu fatigué et j’ai préféré passer la journée d’hier au soleil, sur la place de la Reine. Le soleil illuminait les bancs en bois colorés disposés par la commune, ça m’a réchauffé le cœur. Ils essayent de prendre soin d’elle en y installant des endroits pour s’asseoir ou en accrochant des carillons aux arbres pour faire de la jolie musique au gré du vent, mais ça ne suffit pas, les gens ne voient toujours pas sa réelle beauté, celle que mon Papa m’a montrée autrefois.

Je dois t’en parler, de mes parents, mais ce n’est pas simple. En fait, ce n’est pas en parler qui est difficile, c’est de se rappeler les moments où Papa ne faisait pas partie de mon quotidien. Il travaillait beaucoup et Maman disait que c’est normal. Papa disait qu’on était des descendants d’une des familles qui vivaient autour de la place de la Reine à l’époque. Mon grand-père lui avait même dit qu’on avait côtoyé la royauté !

Mais Maman ne croyait pas ce qu’on racontait à propos de notre passé. Elle disait toujours qu’il fallait me remettre les idées en place, à l’ancienne. Maman disait que c’était ça, vivre comme un jeune prince. On suit les règles ou on en subit les conséquences. Aujourd’hui je comprends que ce n’était que des sarcasmes, mais je ne le savais pas.

Un homme ne pleurniche pas, un homme ça encaisse, qu’elle disait toujours, un homme ça travaille dur pour que sa famille puisse être bien lotie. Papa me disait que c’était normal qu’il apporte le pain sur la table et qu’il paye le loyer et que ce serait à mon tour de le faire un jour. Je n’ai jamais compris pourquoi ils étaient mariés. Elle était matérialiste, ne voyait que ce que ses yeux lui montraient tandis que Papa me montrait des choses que personne d’autre ne voyait. Il me disait toujours que le plus important était de voir avec le cœur. Quand il ne travaillait pas, il s’occupait de moi et m’emmenait sur la place de la Reine pour me raconter des histoires. Il me racontait qu’il y avait des maisons bourgeoises autour de la place à l’époque et qu’il y avait même une école communale pour demoiselles ouverte en 1858 et qui était restée en activité au moins jusqu’en 1899 ! Papa disait que la place était la seule femme qu’il ait jamais aimée, bien qu’elle ne soit pas une réelle personne. Il n’était pas doux avec Maman et elle n’était pas douce avec moi en retour. « Un homme, ça ne pleurniche pas, un homme, ça encaisse. »

Ils ne m’ont pas dit que ça. Mon Papa me disait : « Tu sais, Henry, un jour ma Reine deviendra la tienne. Mais elle devra rester la deuxième dans ton cœur. C’est comme ça que ça se passe dans la royauté : tu te maries avec la première pour la politique et tu vas voir la deuxième par amour. » Maman, elle, me disait : « Tu es aussi lâche que ton père Henri. Vous êtes tous des lâches. Des ingrats. Tu n’as pas le droit de pleurer, je ne pleure jamais, moi. ».

Ils n’ont jamais su se mettre d’accord sur la façon d’écrire mon prénom. Mais, après tout, qu’est-ce que ça change que j’écrive mon nom avec un « i » ou un « y » ?

Enfin bon, j’ai du boulot demain et j’aimerais me coucher tôt. Ce fut une soirée forte en émotions que nous avons passée là et je dois encore préparer les copies pour que mes élèves puissent travailler sur leurs textes demain. J’écris une petite consigne, histoire qu’ils puissent décrire toute la beauté qu’ils perçoivent sur la place.

Ne t’inquiète pas, je reviendrai dès demain à la même heure pour te raconter toutes les belles choses que j’aurai lues. 

Henry