MON INTIMITÉ AVEC LA REINE

3 mai 2023

BANDE DE PETITS CONS MAL élevés ! Voilà ce qu’ils sont ! TOUS ! Comment osent-ils dénigrer cette perfection ? COMMENT OSENT-ILS ?! Suis-je le seul à voir au-delà des apparences ? Suis-je le seul à ne pas être abruti et aveugle ?

J’ai donné une consigne simple à mes élèves : allez sur la place et décrivez ce que vous voyez, ce que vous ressentez.

Je vais te dire ce qu’un petit morveux de ma classe a écrit aujourd’hui : 

« Je vois une place pavée de gris et une vieille église démesurée qui ne manque pas de détails surprenants, mais qui ne fait qu’accentuer la laideur du quartier. Tout ce qui se trouve autour de ce grotesque bâtiment néo-gothique est plat et terne. Comment expliquer une place si fortement marquée à la fois par la présence d’une puissance divine et par le chagrin des alentours, abandonnés par la bonté et la bienveillance ? Il suffit d’un passage sur cette place pour se rendre compte du poids de la tristesse et de la solitude dont elle est pavée. Les gens s’épient et se jaugent, mais seulement quand ils daignent s’accorder une minute de leur temps qui paraît défiler si lentement pour eux. D’aucuns ont essayé d’insuffler de la joie et de la couleur avec quelques tintements de carillons accrochés à un arbre ou encore avec des blocs en bois peints, dispersés çà et là faisant office de bancs pour qui serait assez audacieux pour passer là plus de temps qu’il n’en faut pour ne faire que passer. Les commerces aux alentours se présentent comme une muraille entourant cette place plutôt que comme une enceinte visant à attirer et accueillir les passants. Les magasins paraissent gris et peu chaleureux tandis que les bars semblent malfamés, et ce ne sont pas les deux ou trois sentinelles postées devant les brasseries, qui ne sont finalement que des poivrots faisant des va-et-vient de chez eux aux bars du quartier, qui rendent les lieux moins hostiles. La vie autour de cet endroit est aussi hermétique qu’elle l’était au XIXe siècle, mais pour des raisons totalement opposées : si toute la bourgeoisie vivait retirée dans des bâtiments somptueux tout autour de la place à l’époque de la première reine de Belgique, c’est maintenant toute la pauvreté du pays et la tristesse qui va avec qui s’y cachent. »

Et ça, ce n’est que le début de la dégringolade ! Il n’y a rien de laid dans cette place et il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que ce coloris de gris est du meilleur goût ! Mais attends, je vais te montrer une autre copie :

« Le prof nous a fait visiter une vieille place un peu claquée, rien de spécial à y voir. Qu’est-ce que je peux dire ? C’est vieux, personne veut de cette place, y’a des clodos et des mecs chelous qui tapent la discussion entre eux. Ils parlent peut-être du prochain vol qu’ils vont commettre, j’en sais rien. De toute façon, ils feraient mieux de démolir tout ce bordel et reconstruire par-dessus comme ils avaient fait à l’époque de la construction de la place. Je sais pas quoi dire de plus, mais j’ai besoin d’un quota de lignes donc je vais juste écrire que c’est une place vide, mal décorée et flippante la nuit. »

MAIS QUEL TORCHON ! Comment peut-il avoir ce genre de propos alors que la place a tant à lui offrir ! 

Ce n’est qu’un sale gosse de riche qui ne comprend rien à la beauté. Je vais lui inculquer la vie, la vraie ! Maman avait raison, les hommes sont des ingrats, mais il comprendra, je n’ai qu’à lui expliquer. Non pas que ce soit à moi de le faire, mais le directeur s’en fout totalement. Je lui ai dit pourtant, je lui ai montré. Tu crois qu’il a levé le petit doigt ? Haussé un peu la voix ? RIEN DU TOUT ! je vais devoir régler cette histoire par moi-même, une fois de plus. 

Henri