Construire ensemble un monde sans insécurités

(Ndlr : Article rédigé spécialement en écriture inclusive. Bonne lecture !)

Créer des endroits plus sécurisants pour toustes est un enjeu important. Pour ce faire, des personnes se rassemblent et créent de nouvelles manières d’éduquer, d’incarner l’espace pour que demain soit moins violent.

En février dernier, Michel de Herde, un échevin schaerbeekois, a été écarté de son poste pour attentat à la pudeur et sexisme sur une de ses collègues, Sihame Haddioui. Le harcèlement sexuel ne s’arrête pas aux bureaux politiques et ses endroits préférés sont bien souvent la rue et les espaces publics. Une étude de Plan International indique que 91% des femmes de 15-25 ans ont déjà subi du harcèlement sexuel : des sifflements (82%) aux attouchements non consentis (36%), en passant par des regards insistants (79%). Cette charge que portent les femmes a un impact sur leur liberté de mouvement pour 50% d’entre elles. La situation étant évaluée depuis maintenant plusieurs années, quelles pourraient être les solutions à ce problème porté par elles, les femmes* ?


CC BY-NC-SA 2.0 – Planche de Projet Crocodiles dessinée par Juliette Boutant

Trouver des espaces sûrs

Vous êtes-vous déjà senti·e mal à l’aise en rue ? Un petit quelque chose qui vous fait vous retourner tous les mètres ? Un groupe de garçons, d’hommes qui rigolent un peu trop fort ? Cela arrive fréquemment et à une grande partie de la population, que ce soit de jour ou de nuit, seul·e ou à plusieurs : un sentiment d’insécurité. Bien souvent, ce sentiment ou cette parole des personnes agressé·es restent tus. Selon la même étude de Plan International, seulement 48% des agressé·es réussissent à parler à des ami·es, 27% à leur famille, 7% à un·e psychologue et 6% à la police. 

Heureusement, il existe à Bruxelles plusieurs associations féministes qui créent des espaces sûrs, supports de discussions et de solidarité pour les personnes qui en ressentent le besoin : Garance en fait partie. Laura Chaumont, qui y travaille depuis 11 ans, définit Garance comme une association qui fait de la prévention primaire des violences basées sur le genre. « On réfléchit à tout ce qu’il serait possible de faire avant, pour qu’elles n’arrivent pas. » La prévention passe par des formations sous forme de stages d’autodéfense verbale ou non verbale. En plus de ces stages, l’équipe de Garance porte différents projets. Laura est référente des projets Espaces Publics et Enfants CAPables.

Prendre de la place : le droit de disposer de l’espace public

L’espace public (la rue, les parcs, les transports en commun) peut être inquiétant, mais pourquoi cela ? Les représentations de ces lieux ont toujours été dures et anxiogènes. La dernière campagne de Bruxelles contre le harcèlement de rue :  Join the Fam, n’y échappe pas. « C’est venu renforcer tous les stéréotypes sur l’obscurité, la victime complètement passive… »

CC BY-NC-SA 2.0

En plus de cela, la campagne a eu la maladresse d’invoquer la famille comme référence d’espace de confiance et de sécurité ; dans son nom qui veut dire « joins-toi à la famille » mais aussi dans des slogans.

« Le fait d’invoquer la famille quand il s’agit de violences, c’est hautement problématique quand on connaît la réalité des chiffres, quand on connaît le nombre de victimes qui sont silenciées, invisibilisées au sein des familles, au sein des proches.”

Laura, Garance

Laura évoque également la culture mainstream. Dans les films, la femme est souvent un personnage qui ne réagit pas aux agressions tandis que l’homme se bat, se défend et crée un mythe de l’invincibilité. Par mythe de l’invincibilité, on parle de cette manière qu’ils ont de toujours se relever, peu importe le nombre de coups qu’ils endurent. La production de film où la femme n’a pas peur, se défend, n’est pas soumise à de la violence, permettrait de renouveler les représentations et, par la même occasion, l’imaginaire collectif.


Suivant comment ils sont construits, les espaces publics impactent différemment les personnes qui les utilisent. En l’occurrence, ils sont souvent pensés à partir d’un regard masculin. Pour apprivoiser ces espaces partagés par toustes, il est important de les regarder, de les vivre et d’en tirer des conclusions, c’est ce qu’a fait Garance dans des marches exploratoires. Dans le rapport Espace public, genre et sentiment d’insécurité on apprend que ces marches sont des outils d’analyse genrée de l’espace public créées dans les années 80. On en trouve au Canada, en France, dans plusieurs villes de Belgique : Mons, Namur, Liège… Ce sont des balades en petit groupe de femmes de tous horizons, méthodologiquement encadrées, pour leur permettre de poser un nouveau regard sur des espaces qu’elles connaissent. Le but est d’identifier ce qui peut leur sembler insécurisant en se réappropriant l’espace public. Plusieurs idées sont soulignées à la suite de ces marches : adopter une signalétique plus lisible ; rendre les espaces plus transparents en évitant les rampes d’escaliers ou les tunnels en béton aveugle ; trouver des moyens d’avoir des lampadaires toujours en fonctionnement et éviter les grosses différences de luminosité entre les grandes avenues et les petites rues …

Et demain ? En parler pour ne pas reproduire

Dans cette recherche de solutions, il est primordial de penser à demain. Comment déjouer et prévenir des futurs agressé·es ? Garance porte un projet : Enfants CAPables. « C’est un projet qu’on mène depuis 8 ans où on va faire un atelier dans les classes de primaire d’une école. On parle de prévention primaire avec les enfants en donnant des conseils pratiques sur des situations spécifiques de violences qui pourraient leur arriver. On rencontre également l’équipe pédagogique et les parents pour travailler la posture en tant qu’adultes lorsqu’on reçoit la parole d’un ou une enfant qui a un problème, grave ou pas. » Dans ce travail, l’équipe des Capeuses** tente également de modifier les mythes des agressions et de la pédocriminalité. La Belgique a été particulièrement marquée par l’affaire Dutroux ; « bien qu’il faut continuer d’en parler : c’est très rare ! La majorité des violences sont commises par des personnes proches, pour les enfants comme pour les femmes. Ce sont des choses dont on parle assez peu aux enfants et nous sommes convaincues que l’information rend moins vulnérable aux agressions quelconques de la vie. Plus on va commencer tôt, moins la déconstruction à faire sera grande : une réaction automatique s’ancrera dans le corps. »

« […] nous sommes convaincues que l’information rend moins vulnérable aux agressions quelconques de la vie. »

Laura, Garance

Un aperçu de cet atelier est disponible dans un podcast d’Arte Radio : L’autodéfense des enfants – Un podcast à soi. Dans cet épisode, on suit un atelier dans une classe avec Laura. La parole est immédiatement donnée aux enfants, leurs mots sont pertinents et la réaction aux situations données, instinctive. Le fait d’être écouté avec l’attention qu’on donnerait à des adultes pendant l’exercice crée un vrai sentiment d’empouvoirement pour eux. Les formatrices leur montrent qu’iels sont toustes tout à fait capables de réagir à des violences, et surtout, qu’iels ont le droit de le faire.

Pour continuer d’ouvrir la parole encore et encore, de nombreux projets artistiques existent, par exemple, Projet Crocodiles. Cette BD de Juliette Boutant et Thomas Mathieu disponible sur le site Tumblr reprend des témoignages de harcèlement et les dessine, les agresseurs deviennent des crocodiles. Culottés – des femmes qui ne font que ce qu’elles veulent de Pénélope Bagieu est également une BD qui réunit des dizaines de récits de femmes qui ont fait de grandes choses. Les représentations comme celles-ci permettront peut-être, à terme, un changement des mentalités et « une vie sans violences ». Le chemin est encore long mais, « on ne bougera pas. »

*femmes selon auto-définition.

**surnom des formatrices.

Mia BLANCHON DUIJNSTEE.

Expatriée à Bruxelles depuis 3 ans, je baigne dans des milieux artistico-culturels et fais des études de communication pour, à long terme, lier les deux.